Nager en eaux troubles
Cela fait maintenant un petit mois que mon internat est terminé. Finis les stages, les gardes hospitalières ! Bienvenus les remplacements, les gardes libérales !
Ne vous demandez pas pourquoi je ne m'installe pas. Je voudrais bien mais je peux point, faute de thèse, qui sera probablement achevée d'ici l'horizon 2035...
L'art du remplacement n'est pas aussi aisé que j'aurais pu le croire. J'ai beau avoir fait un petit stage d'autonomie. Entre faire 1 jour et demi par semaine chez un maître de stage et remplacer le même médecin 2 semaines, il y a tout un monde. Rien à faire, tu n'échappes pas aux patients qui reviennent pour un rhume à J3 ou une toux banale de plus d'une semaine.
"Mais docteur, j'arrête pas de tousser !" Pas entendu la moindre toux de la consultation, qui a pourtant bien excédé les vingt minutes.
Pas question non plus d'esquiver les paperasses en tout genre : l'arrêt de travail aux dates qui ne conviennent pas à la sécu, l'accident de travail idem, les demandes de contre-expertises pour demande d'invalidité, les renouvellements de 100%, les demandes de maisons de retraite... Liste qui peut s'étendre à l'infini avec beaucoup d'imagination, tout ça bien entendu, pour des patients que tu ne connais pas et dont le dossier peut être quasi vierge.
Bien sûr, j'ai eu droit au petit bonus, un de mes remplacés ne faisant les courriers pour spécialistes qu'au moment où les patients obtenaient leurs rendez-vous. La secrétaire me passait donc des petits mots doux : "Mr X a rendez-vous avec tel spécialiste dans 2 jours, il lui faut son courrier." Mais pourquoi, comment ?!! Pas une trace dans le dossier. Je prie donc les spécialistes sus-nommés de pardonner mes courriers minables.
Avant je pouvais aussi essuyer une consultation pour une situation sociale catastrophique ou un maintien à domicile difficile, je n'avais pas forcément à en voir les conséquences les jours d'après. Je n'avais pas à faire appel à la famille, l'assistante sociale, refaire de la paperasse, prier les dieux de la Sécu et de l'aide sociale réunis...
Les confrères ne commandaient pas non plus mes horaires, ok, mon maître de stage s'en chargeait très bien.
Je peux aussi vous parler des gardes libérales, où l'on semble être seul au monde avec sa voiture et son stéthoscope. Radios, examens biologiques, tu oublies. Au moindre doute, l'unique question que tu as le droit de te poser, c'est : urgences ou pas urgences, voire transport médicalisé ou pas. J'ai encore du mal avec ces situations. J'ai davantage l'habitude d'être aux urgences avec tous les examens nécessaires sous la main. En cas de doute, dans la nuit, je garde le patient, pas d'autres questionnements.
J'ai une forte envie de m'installer. Je ne suis pas faite pour me balader à gauche et à droite, m'adapter sans cesse, redécouvrir de nouveaux lieux et de nouveaux patients. J'aime mes petites habitudes, j'aime connaître les patients dont je m'occupe. Pourtant, quand je vois à quel point ce métier est empli d'embûches même pas médicales, j'avoue que c'est une facilité d'être remplaçant.